La CNAPE a engagé une démarche prospective qui s’est finalisée en 2017 avec la publication du rapport « Le bien-être de l’enfance et de la jeunesse : un objectif majeur des dix prochaines années ». Ces travaux constituent une invitation à se requestionner sur la manière dont la société tout entière considère l’enfance et la jeunesse, à s’engager pour mieux les prendre en compte et en considération, et à partager un objectif commun : leur bien-être.
DE LA RÉFLEXION PROSPECTIVE À L’ACTION STRATÉGIQUE
La prospective est un « discours sur les futurs possibles, visant à explorer les dynamiques scientifiques, technologiques, économiques et sociétales, ceci dans une perspective d’action » (Remi Barré, CNAM). Même si elle n’est pas prédictive, elle s’attache à décrire rationnellement les tendances passées et en cours pour mieux anticiper celles à venir afin de pouvoir les infléchir vers des ambitions données. Se basant sur ce processus, trois scénarios concernant le bien-être de l’enfance et de la jeunesse ont été dressés : l’un pessimiste, un autre tendanciel (pas ou peu d’évolution) et le dernier optimiste. Un plan d’action stratégique a été établi à partir des leviers du scénario optimiste pour atteindre ce futur et cette société contribuant réellement et effectivement au bien-être de tous les enfants.
LA PAROLE DES ENFANTS ET DES JEUNES AU CŒUR DE LA DÉMARCHE
Les travaux prospectifs traitent de plusieurs thématiques : les enfants, les jeunes et leur famille ; les associations ; les territoires ou encore les pouvoirs publics et les politiques publiques. La parole des enfants et des jeunes y est centrale et recouvre des enjeux multiples : mieux prendre en considération leur parole et leur opinion, leur donner une place plus importante dans toutes les décisions qui les concernent ou encore lutter contre les représentations négatives à leur égard et à l’égard de leur situation.
En 2020, le comité de suivi des travaux prospectifs s’est concentré sur l’objectif « Prendre en considération les enfants et les jeunes, leur offrir un cadre éducatif rassurant et épanouissant, les amener à être acteurs responsables de leurs projets » en utilisant le levier « Développer et porter une communication positive à leur égard ». Et qui de mieux pour en parler que les premiers concernés ? Le média vidéo a été choisi pour permettre aux enfants relevant de la protection de l’enfance de s’exprimer afin de montrer au grand public que malgré leur parcours ou leur histoire de vie parfois difficile ou douloureux, ce sont avant tout des enfants avec les mêmes doutes, les mêmes rêves et les mêmes espoirs que les autres.
UNE RÉFLEXION SUR L’IMAGE ET LA PAROLE
Pour réaliser ce projet, l’association La porte à côté a mené deux ateliers au sein de trois associations adhérentes de la CNAPE : l’ACESM(41), l’Acolea(69) et l’Alsea(87). Animés par des journalistes, le premier était consacré à l’expression orale et au recueil d’expériences par le biais d’une sensibilisation aux médias et le second à l’expression face caméra et à l’enregistrement des témoignages. Dix-huit jeunes ont participé au projet, accompagnés d’éducateurs référents. A l’ère des réseaux sociaux et de la course aux « vues » sur certaines plateformes comme TikTok, très à la mode chez les plus jeunes, la démarche de participer à ces ateliers vidéo n’a rien eu de naturel : « la plupart des enfants nous ont interrogés sur l’anonymat, sur l’image, etc., alors qu’ils sont sur les réseaux sociaux et ne réfléchissent pas forcément à leur image dessus. Alors que pour ces ateliers, ils ont eu cette réflexion», explique Nicolas Point, chef de service AEMO-AED-AER à l’ACESM. Déborah, 13 ans, confirme cette appréhension : « au début je voulais le faire mais j’avais peur de la diffusion sur les réseaux, j’avais peur du jugement des autres ». L’objectif était que les jeunes se questionnent sur ce qu’ils souhaitaient dire et comment ils souhaitaient le dire : « ils ne déposaient pas n’importe quoi, les jeunes restaient dans le sujet, disaient ce qu’ils voulaient dire sans trop entrer forcément dans des choses personnelles » explique Charlène Bouahom, monitrice-éducatrice à l’Acolea. « Dès le début, j’ai eu envie (…). On pouvait connaitre plus de gens. Je pouvais parler dans un micro, faire une vidéo, je pouvais parler pour un média », confie Rafaël, 9 ans et demi. Les jeunes ont amené une vraie réflexion sur leur motivation et le sens donné à leur propos : « je me suis dit que ça pouvait être intéressant de parler de la vie en foyer pour mes proches qui me posent plein de questions, pour qu’ils sachent (…). Pour moi, ça me permet de me libérer, dans le sens de parler de la vie en foyer, y’a plein de gens qui pensent que le foyer c’est pas bien mais en réalité c’est pas si mal que ça », explique Déborah.
UN ESPACE D’EXPRESSION
La rencontre avec des professionnels extérieurs à l’institution que sont les journalistes et la démarche des ateliers comme lieu d’échange et d’expression ont été tout aussi importants que la finalité de l’action. C’était « une opportunité de les interroger, de leur donner la parole sans que ce soit nous qui participions (…). C’est une forme de considération de leur parole (…), ils se sont sentis responsabilisés, pris aux sérieux», raconte Nicolas Point. « Ça faisait travailler beaucoup de choses, ça leur a permis de prendre confiance en eux : se présenter, articuler, parler fort, avoir la liberté de dire ce qu’ils voulaient », développe Charlène Bouahom. Ce que confirme Damien, 13 ans : « pour les deux premières questions, je n’étais pas à l’aise et après ça était. Je pensais que je n’allais pas être à l’aise mais en fait si ». Pour lui, cette expérience « était cool et sympa. La prochaine fois, j’aimerais bien le refaire (…). J’en ai parlé avec mes potes, j’en ai parlé avec ma mère. Je leur ai dit ce que j’avais fait, ils étaient tous contents pour moi. C’était une bonne expérience ». Ces ateliers ont permis de créer un espace de prise en considération des jeunes différent de leur quotidien, contribuant à les valoriser et les responsabiliser, notamment autour de leur choix et de leur droit à dire, ou au contraire à ne pas dire. Une vidéo issue des témoignages a été diffusée à l’occasion de la journée mondiale de l’enfance et est disponible sur la chaîne Youtube de la CNAPE.
Le droit de l’enfant à s’exprimer et à donner son opinion pour tout ce qui le concerne ne pourra pas être réel et effectif sans un changement significatif et profond de la société et de son regard porté sur les jeunes et la jeunesse en général. Leur donner plus la parole et la considérer plus significativement contribuera à une modification des représentations parfois négatives portées sur eux.