Par le service Accompagnement Educatif Spécifique (AES) de l’Association Girondine Education spécialisée et Prévention sociale (AGEP)
QU’EST-CE QUE LE SERVICE D’AES DE L’AGEP ?
Le service AES met en oeuvre en Gironde (tribunaux de Bordeaux et de Libourne) des mesures d’accompagnement éducatif spécifique qui s’adressent à des mineurs en danger, suite à la révélation d’agressions sexuelles intrafamiliales donnant lieu à une procédure pénale. Depuis plus récemment, le service intervient aussi auprès des mineurs auteurs lorsqu’il s’agit de situations intrafamiliales et que le service est saisi du suivi du mineur victime. C’est une mesure d’AEMO ordonnée par le juge des enfants dans le cadre de l’article 375 du code civil. La mesure d’AES est une mesure de protection et un soutien pour penser et construire des repères symboliques inexistants ou défaillants liés à la problématique incestueuse. Une intervention singulière est systématiquement mise en place. Chaque enfant et chaque parent (non poursuivi pénalement) est accompagné par un travailleur social différent, afin de différencier un espace de parole et de pensée pour chacun. Le service intervient auprès de mineurs à partir de 3 ans jusqu’à la majorité.
En France, il existe cinq services spécifiques situés à Aurillac (Accent Jeunes), Clermont-Ferrand (ADSEA 63), Argenteuil (Sauvegarde du Vald’Oise), Carcassonne (ADSEA 11) et
Bordeaux (Service AES-AGEP).
UN PEU D’HISTOIRE…
Les premières mesures d’accompagnement ont commencé à l’AGEP en 1993, suite à une réflexion menée sur la place de l’enfant dans la procédure pénale et des effets de cette
dernière pour les mineurs victimes d’inceste. Une convention a été signée en 1995 et renouvelée en 2009 avec de nombreux acteurs girondins (TGI de Bordeaux et Libourne, Parquet de Bordeaux et Libourne, Ordre des Avocats, CAUVA, Institut Médico- Légal de Libourne, Département de la Gironde), pour améliorer la prise en compte du mineur au cours de la procédure, en permettant le soutien du mineur par la désignation d’un éducateur pour accompagner l’enfant dès le début de la procédure ; et la sensibilisation de l’ensemble des acteurs de la procédure pour favoriser un autre regard sur la situation de la victime et permettre une coordination visant à limiter la multiplication des actes de la procédure souvent traumatisants. Cette expérimentation a pris une dimension nationale en contribuant aux travaux d’élaboration de la loi n°98-468 du 17 juin 1998 qui autorise l’accompagnement des mineurs victimes de violences sexuelles durant les auditions (art. 706-53 du code de procédure pénale). La convention s’est adaptée au fil du temps avec l’évolution du contexte institutionnel, judiciaire et social notamment avec la prise en compte des agressions sexuelles au sein d’une fratrie. La création d’un service spécifique a été réalisée en septembre 2014. Le service exerce aujourd’hui 75 mesures éducatives.
L’ACCOMPAGNEMENT DES MINEURS VICTIMES ET DES MINEURS AUTEURS DE VIOLENCES SEXUELLES INTRAFAMILIALES LE TEMPS DE LA PROCÉDURE PÉNALE
La révélation, le chemin vers le Moi, JE…
L’enfant victime d’inceste initie le chemin vers l’individuation par la parole qu’il adresse à un tiers pour arrêter de subir. Il faut encore que cette parole soit entendue. Certains enfants mettent des années à révéler, d’autres se confient à un proche qui garde à son tour le secret ou tente de régler le problème « en famille ». C’est lorsque la parole est portée sur la scène judiciaire que l’enfant découvre l’impact de ses mots sur sa vie et celle de sa famille. Commence alors pour lui un véritable parcours du combattant où il est question de répéter, préciser, montrer ce qu’il veut déjà oublier. Il est important d’accueillir la parole de l’enfant, de permettre l’instauration d’un espace transitionnel afin de construire avec lui, un lieu où peut se dire l’indicible, se penser l’impensable.
La relation éducative : espace de pensée pour se penser
Le travail éducatif de notre service tente de faire évoluer la situation de danger, en lien avec une agression sexuelle intrafamiliale, en soutenant les capacités des enfants et des parents à cheminer sur eux-mêmes. La mise en mots de leurs vécus, de leurs éprouvés, les aident à penser et à verbaliser afin de sortir peu à peu du fonctionnement de l’agir. Pour les enfants comme pour les parents, l’entretien est un outil privilégié de l’action éducative. Cependant, le service peut recourir à d’autres supports de médiation en fonction de l’âge de l’enfant et de ses facultés à verbaliser. Pour le mineur et ses parents, il s’agit de favoriser des espaces éducatifs d’écoute et de parole, symbolisation nécessaire dans ce contexte d’inceste, qui vient attaquer l’individu, les liens et les places de chacun.
Les modalités d’écoute vont donc privilégier la temporalité de la personne, l’individuation et l’intimité psychique mais aussi les éléments du vécu de l’inceste. Les travailleurs sociaux auprès de l’enfant comme auprès des parents travaillent sur plusieurs thématiques qui sont à l’œuvre dans les familles qu’ils accompagnent, comme la confusion des places et des rôles, l’amalgame, l’indifférenciation. Ils tentent de faire émerger et/ou de soutenir toute tentative de différenciation des uns et des autres. Pour les mineurs victimes, on parle de s’autoriser à sortir de cette place d’objet ; pour les mineurs auteurs, comprendre ce qui a pu les amener à agir en faisant le choix du corps d’un membre de la fratrie ; pour les parents, les amener à prendre une place davantage soutenante et protectrice.
Nous allons nous appliquer à individualiser, aider à reconstruire de l’intimité et des places dans la famille tout en ouvrant vers l’extérieur. Nous proposons également à chacun des repères structurants, en travaillant sur les limites dans le rapport au corps, à la parole, à l’espace (dedans, dehors), au temps (continuité), à l’autre, aux ressentis, à la loi, à la pensée.
L’importance de l’adossement à la procédure pénale
Le travail éducatif a du sens car il s’appuie sur quelque chose, trouve un bord, ce qui est particulièrement important dans l’inceste. C’est l’adossement à la procédure pénale, à la
loi qui le rend possible, bien que cela nécessite des ajustements permanents pour que notre service reste bien à sa place entre le civil et le pénal. Il est d’autant plus essentiel dans ces situations de travailler en coordination avec les autres acteurs de la procédure et de permettre à l’enfant de bien identifier les rôles et missions de chacun (administrateur ad hoc, avocat, juge). La présence de l’éducateur aux différents actes de procédure favorise un lien de continuité entre les étapes et permet d’accompagner le vécu souvent douloureux de l’enfant.
Neutre, il peut être attentif à ce qu’il ressent, peut l’aider à exprimer ses sentiments avant et après ces moments qui peuvent être très chargés pour lui en remémoration traumatique et en vécus de culpabilité, d’abandon, et de solitude, d’autant plus lorsque ses révélations ont eu des conséquences importantes sur le plan familial (éloignement de l’auteur présumé ou placement de l’enfant, audition de chaque membre de la famille).
LE SOUTIEN ET LA FORMATION : FOCUS SUR LES ATELIERS DE SOUTIEN TECHNIQUE
La problématique de l’inceste est transversale et largement rencontrée dans les établissements et services. En effet, elle agite souvent les professionnels en mobilisant chez eux un ensemble de réactions ou d’éprouvés massifs (colère, dégoût, effroi, abattement) qui peuvent brouiller leur écoute, leurs réponses, les limites de leur cadre d’intervention et les confronter à des sentiments d’impuissance, d’isolement et de culpabilité. L’expérience du service AES nous a conduit à proposer du soutien technique aux professionnels et équipes médico-socio-éducatives du département de la Gironde. Cette orientation a été validée dans le cadre du Schéma départemental 2012-2016 du département. Avec les ateliers de soutien technique (session de trois ateliers avec huit personnes issues d’institutions différentes), le service AES favorise la construction collective d’une réflexion, soutenue par un « tiers » extérieur, à partir de l’évocation de situations incestuelles ou incestueuses auxquelles les participants du groupe ont pu être ou pensent avoir été confrontés. Ce format vise à proposer une approche clinique de ces dynamiques familiales et des difficultés auxquelles elles exposent les professionnels ; étayer la mise en mots de ce qui traverse les professionnels ; mettre au travail les représentations sur chaque membre de la famille et sur leurs liens entre eux ; et enfin construire des repères méthodologiques dans la prise en charge des jeunes et de leurs familles.
Plus d’informations :
www.agep.asso.fr