Entretien avec Bernadette Greday, directrice et Ludivine Serrano, cheffe de service du pôle prévention et parentalité – Comité de Sauvegarde de l’Enfance du Biterrois
Le 22 octobre dernier, le CSEB a organisé un colloque consacré aux droits de l’enfant et au contentieux familial. Animée par Marie-Agnès Feret, chargée d’étude à l’Observatoire national de l’action sociale, cette journée a été l’occasion d’actualiser les connaissances concernant l’enfant confronté au conflit parental. Plus de 200 personnes étaient réunies pour échanger et débattre autour des interventions de nombreux spécialistes du champ social.
POUVEZ-VOUS REVENIR SUR LA GENÈSE DE CETTE JOURNÉE ET LA RAISON QUI A CONDUIT LE CSEB À S’INTÉRESSER À CETTE THÉMATIQUE ?
De nombreux professionnels sont confrontés à des situations de contentieux familiaux complexes sans disposer des outils permettant d’apporter des réponses à l’enfant. Alors qu’elles augmentent fortement, ils manquent de formation sur ce sujet et leurs actions peuvent être parasitées et embolisées par le conflit, au risque que les difficultés rencontrées par l’enfant ne soient pas perçues. Afin de proposer des réponses au nombre grandissant d’enfants confrontés à un conflit familial exacerbé, le CSEB a développé de nouvelles activités au sein de son pôle prévention et parentalité. Il est aujourd’hui composé d’un ser- vice de consultation et d’action familiale, d’un espace de maintien du lien et exerce des mandats d’administrateurs ad hoc, des enquêtes sociales et des délégations d’audition de l’enfant par le juge aux affaires familiales.
Sur le fondement de ses constats et de son expérience, le CSEB a souhaité partager le travail entrepris et favoriser la circulation des connaissances en organisant un évènement dédié à l’enfant confronté au conflit familial. Son objectif était d’apporter des pistes de réflexions, des clés et des exemples de bonnes pratiques. La présence nombreuse et hétéroclite d’acteurs du droit, de l’éducatif ou du soin, a démontré l’intérêt des professionnels pour ce sujet, et ce, quels que soient leur cadre d’intervention et leurs missions.
QUELS SONT LES EFFETS DÉLÉTÈRES DU CONFLIT FAMILIAL SUR L’ENFANT ?
A travers plusieurs interventions(1), la matinée a permis de s’intéresser aux effets délétères du conflit familial sur le développement de l’enfant. Elle a été l’occasion de rappeler que les difficultés rencontrées par les enfants en proie à la séparation conflictuelle de leurs parents ne sont pas toujours perçues par les adultes. Pourtant, les expliciter aux parents est un outil essentiel pour les recentrer sur les besoins de leur enfant et non sur le conflit dans lequel ils sont ancrés. Cela favorise la construction d’une co-parentalité. Bien souvent, happés par le conflit, ils ne sont pas conscients des répercussions de leurs actes alors qu’ils ont des effets directs sur les besoins fondamentaux de l’enfant. A titre d’exemple, ils peuvent tirailler l’enfant tel un objet, chacun tentant d’évincer l’autre et de montrer qu’il lui appartient. L’individualisation de l’enfant, sa construction comme personne à part entière et donc son besoin d’identité, sont alors mis à mal.
Le métabesoin de sécurité est lui aussi touché par le conflit familial. L’enfant le subit et voit ses repères bouleversés. L’organisation familiale qu’il a connu depuis sa naissance se délite et l’insécurise. Face à ces effets préjudiciables, la dernière intervention de la matinée a apporté des pistes de réponses et des perspectives à travers la présentation d’exemples étrangers. Toutefois, malgré la richesse des exposés, il ressort un manque de connaissances scientifiques sur le sujet et la nécessité de conduire un travail de recherche afin d’appréhender davantage les effets du conflit sur l’enfant.
COMMENT APPRÉHENDER LE VÉCU DE L’ENFANT DANS LES PROCÉDURES JUDICIAIRES LE CONCERNANT ?
L’après-midi, les propos des intervenantes(2) ont quant à eux permis de mettre la focale sur le vécu des enfants dans les procédures judiciaires qui les concernent, avec pour fil rouge la nécessaire continuité de l’action. Pour la favoriser, l’acculturation entre différents champs d’intervention est primordiale. Certains préalables concernant l’organisation de la justice ont été rappelés, notamment la différence de temporalité entre le juge des enfants et le juge aux affaires familiales. Les décisions du premier étant, pour la plupart, conditionnées à une durée, contrairement à celles du second.
La parole de l’enfant et sa représentation dans les procédures judiciaires ont été au centre des réflexions. La nécessité de désigner un administrateur ad hoc afin de le représenter
a été rappelée tout comme le caractère essentiel des auditions d’enfants. Leur délégation par le juge aux affaires familiales à un service extérieur a d’ailleurs fait l’objet de débats
et d’échanges. Toutefois, tous s’accordent sur la nécessité d’exercer l’audition de l’enfant dans un cadre sécurisant, bientraitant et favorisant sa parole. L’expérience partagée et le rappel de la dégradation de certaines situations ont permis de conclure cette journée de réflexion par le rôle essentiel que doit revêtir la prévention. Il importe d’agir avant que le conflit familial ne s’enkyste au détriment de l’intérêt de l’enfant et du respect de ses besoins.
QUELLES SUITES SOUHAITEZ-VOUS DONNER À CET ÉVÈNEMENT ?
Cette journée a mis en lumière la volonté commune de nombreux professionnels de développer leurs connaissances et leurs compétences afin d’accompagner l’enfant en proie à un conflit familial. Elle a constitué une première étape mais n’est pas une fin en soi. Afin de poursuivre l’action engagée, la perspective d’une formation commune avec le département de l’Hérault est envisagée. Par ailleurs, face au manque de connaissances sur ce sujet, le CSEB souhaite engager une recherche afin de mieux comprendre et appréhender ce qui se joue pour l’enfant lors d’une séparation conflictuelle.
Article paru dans le Forum 96 de décembre 2021